Emails in French
Bonjour,
J'ai le plaisir de vous annoncer que mon second livre vient de paraître. C'est le deuxième volume de mon autobiographie, intitulé
La Vie dure, éducation sentimentale d'une lesbienne.
Paula Dumont
Mauvais Genre et La Vie dure constituent la seule autobiographie de lesbienne en
langue française. En effet ces deux volumes racontent les quarante premières
années d'une femme homosexuelle.
Catherine et Pascale se sont aimées quand elles étaient en terminale, mais Catherine, qui n’arrivait pas à accepter son homosexualité, a très vite rompu avec Pascale. Vingt ans plus tard, elle renoue avec son amie. Mais elle est mariée et elle a des enfants. Quant à Pascale, elle vit depuis douze ans avec Martine qui voit d’un mauvais oeil ces retrouvailles…
Après Mauvais genre, récit d’enfance et d’adolescence, Paula Dumont raconte avec distance et humour dans La Vie dure les joies et les peines de Pascale, Catherine et Martine, ces femmes qui aiment les femmes, ainsi que les difficultés auxquelles elles sont confrontées au même titre que la majorité de leurs semblables. Ce second livre autobiographique veut être un témoignage sur la situation des homosexuelles dans un monde lesbophobe.
LA VIE DURE
Education sentimentale d’une lesbienne
PAULA DUMONT
L'Harmattan
ISBN : 978-2-296-11335-0;262pages Prix éditeur : 25 €
Extrait :
Nous étions attablées dans un lieu public et nous devions chuchoter pour que les autres clients du restaurant n’entendent pas ce que nous disions. J’ai donc réfréné l’envie de caresser sa main qui n’était qu’à vingt centimètres de la mienne. J’avais l’impression qu’elle était aussi aimante qu’à notre dernière rencontre. Elle semblait tout émue de me retrouver, son regard se posait sans cesse tendrement sur moi, elle atten-dait et buvait chacune de mes paroles, bref elle était avec moi comme au cours de nos autres entrevues, ce qui me paraissait de bon augure. Le déjeuner terminé, elle m’a proposé de m’emmener au jardin public qui se trouve près de la bibliothèque municipale. Il faisait un temps magni-fique et j’ai accepté. Dans la voiture, je lui ai pris la main si bien que pendant un instant, elle a perdu le calme dont elle faisait constamment preuve au volant et nous avons fait une embardée. Je lui ai demandé de dire en ma présence qu’elle ne me désirait plus. Elle a soupiré :
— Bien sûr, je suis toute troublée, comme chaque fois qu’on se voit. Mais j’ai besoin de calme, en ce moment, essaie de comprendre !
Essayer de comprendre ! Voilà quatre mois que je ne faisais que ça, mais j’y perdais mon latin. J’ai répondu que je faisais ce qu’elle me demandait puisque j’acceptais une promenade en sa compagnie alors que j’aurais pu rester à Grenoble jusqu’au lendemain pour passer la nuit avec elle. Mais je ne voulais pas la contraindre ni user avec elle d’un quelconque chantage. Ce qui m’avait plu, dans nos retrouvailles, c’est qu’elle revienne d’elle-même, que je sente son désir et son amour avant les miens puisque c’étaient eux qui leur avaient redonné vie. J’aimais qu’elle vienne à moi en toute liberté, mue par son seul désir et je saurais attendre le temps qu’il faudrait pour la retrouver telle que je la souhaitais. Ainsi elle pourrait faire d’utiles comparaisons entre la “servitude sexuelle” qu’elle avait mentionnée dans sa dernière lettre et ce dont je rêvais pour nous.
— Mais enfin, ai-je murmuré, cette curiosité que nous avons l’une de l’autre, ce besoin toujours recommencé de communication auquel tu faisais allusion pendant le déjeuner, tout cela ajouté au désir que nous avons l’une de l’autre, à ce trouble comme tu dis, tu ne l’appelles pas de l’amour ?
Elle m’a jeté un regard malheureux que je n’ai pas su comment in-terpréter. Mais elle m’avait souvent demandé de ne pas la ménager, aussi ai-je continué :
— Tu faisais moins d’histoires quand tu t’es jetée tête baissée dans le mariage avec un type que tu connaissais à peine et pour qui tu n’éprouvais rien ! ai-je repris.
Je continuais à avoir le sentiment d’une immense injustice. Pour-quoi me faisait-elle subir tous ces examens, pourquoi refusait-elle l’évi-dence quand il s’agissait de moi alors qu’elle ménageait tant le sombre crétin à qui elle était attelée ? Avait-elle besoin de tant se dévorer de culpabilité à son endroit ? Après tout, si elle n’était pas heureuse, elle n’avait qu’à le dire à ce jocrisse qui s’obstinait à ne rien voir.
— Tu sais très bien, ai-je repris, que si nous étions seules, nous serions déjà dans les bras l’une de l’autre.
J’ai regardé avec envie les couples de jeunes gens qui s’embras-saient sur les bancs. Cela non plus, ce n’était pas pour nous. Et non seulement il fallait subir les pressions extérieures, le rejet de la meute hétérosexuelle, mais il fallait en plus que la femme qui me redonnait vie depuis quatre mois s’obstine, elle aussi, à me persécuter. Elle m’a redit une fois de plus sa peur de l’amour et son épouvante devant le plaisir qu’elle pouvait trouver auprès d’une femme. C’était la première fois que nous avions une véritable conversation. Elle m’avait dit qu’elle m’aimait en février, sous les fenêtres de mon directeur, pour que je lui dise la même chose, quitte à s’effrayer ensuite des conséquences possibles d’un tel aveu. Elle exigeait sans cesse de moi une ligne de conduite sérieuse et réfléchie alors qu’elle se laissait perpétuellement mener par ses pulsions du moment. Quant à nos rencontres passion-nées, elles nous avaient surtout permis d’éviter de penser au lendemain en savourant l’instant présent. Dans mes premières lettres et nos pre-mières conversations, j’avais sans cesse censuré ce qui pouvait l’effrayer, de crainte de la faire fuir, et j’avais cherché seulement à entre-tenir ce qui nous réunissait et qui me faisait revivre. Seule ma dernière lettre avait été plus explicite parce que Catherine souhaitait voir évoluer notre amour en tendre amitié, ce qui me semblait prématuré.
Je suis sortie de la prudente réserve que j’observais depuis nos retrouvailles et je lui ai enfin dit la vérité, combien je l’aimais, combien elle m’était essentielle et combien je me sentais sûre et forte grâce à elle. Elle était visiblement bouleversée. Elle m’a dit qu’elle se sentait parta-gée, déchirée et qu’elle ne voulait pas pour moi d’une solitude d’encore quatre ans au moins. Si, à cause de nos errements d’adolescentes, ma vie adulte avait été une vie d’infirme ou plus exactement une survie, il était temps, à trente-huit ans, que je me mette à vivre.
— Mais je suis heureuse avec toi, ai-je murmuré. Jamais encore je ne m’étais sentie autant aimée.
Je crevais littéralement d’amour et je la mangeais des yeux à défaut de pouvoir la consommer d’une manière plus agréable. Elle a murmuré :
— Ne me regarde pas comme ça. Je ne peux pas supporter ton regard, baisse les yeux. Je suis tellement perméable à ton amour...
J’ai détourné les yeux pour ne pas lui déplaire. Nous avons marché un moment en silence. J’ai pensé qu’il était temps d’aborder l’essentiel du sujet et je me suis aventurée encore un peu plus loin :
— Quand tu as éprouvé le besoin de me retrouver, tu voulais effacer le crime que tu pensais (à juste titre, ai-je souri) avoir commis il y a vingt ans. Mais tu veux aussi autre chose. Ta famille te dit : “Pense à ton mari, à ta position sociale, à tes enfants”. Tu attends que je te dise : “Pense à toi, sois vraie, une bonne fois pour toutes !” C’est ça ?
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